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La noirceur, des démons tapis dans l'antre de mon crâne.
La solitude et l'ennui bercent mon rêve éveillé.
La victime du pendule espère la délivrance, les oiseaux se sont tus.
Dans l'ombre de la cité rouillée le désert de mon désespoir ronge les oasis de lumière.
L'ange pervers de la déraison étreint mon coeur et je te dévore, doucement, savoureusement.



Le plaisir est un ouragan qui nous a emportés dans les abîmes.
Le temps a passé, il ne me reste plus que des inscriptions magnétiques éphémères.

Je pourrai choisir de raconter l'histoire ainsi. Elle conduit et je regarde la nuit de l'asphalte s'engouffrer sous les roues... Vue des réverbères de la ville qui défilent dans le regard de notre victime consentante allongée sur le siège arrière.
Les raies de lumière blafardes glissent sur sa peau blanche.
Les faisceaux découpent sa chair au rythme des bandes jaunes aspirées par le moteur.
Le vent repousse par intermittence une mèche rebelle sur ses grands yeux bleus. Elle semble rêver, le regard fixé sur un horizon au-delà des étoiles.

Puissant comme un sorcier vaudou révélant à sa tribu une statuette maléfique, j'extirpe la caméra de sa valise de protection.

C'est un objet très cher, lourd inaccessible et rare, bien plus terrible par son pouvoir sur moi, que les statuettes africaines. Même à ce moment, éteinte entre mes bras, je suis fasciné par les énergies qu'elle représente. Il ne tient qu'à moi, apprenti sorcier moderne, de savoir les libérer.

Le lourd cylindre métallique de l'objectif repose au creux de ma main gauche. J'actionne machinalement la rotation fluide et lente du zoom, qui me résiste dans une inertie sensuelle. Ma main droite glisse sur les aspérités arrondies de la carlingue polie par l'usage. Les chocs ont écaillé la peinture sur les angles, révélant le métal luisant.

C'est un objet puissant que j'investis d'un animisme pervers qui me submerge de sa magie. Ce soir, nous allons nous abandonner aux rituels conjugués de la chair et de l'image.

Elle conduit avec sa précision habituelle, les yeux rivés sur le puits d'ombre entre les phares.
Le vent effleure sa peau, s'immisce entre ses cuisses entrouvertes, attirant la caresse d'une main entre ses jambes.
La voiture s'enfonce au ralenti dans le bleu de la nuit.

La beauté de ces instants partagés s'estompe, emportée par le temps. Seules subsistent, quelques empreintes évanescentes, issues de la mémoire électronique du magnétoscope.
Parcelles de vie momifiées, engrangées dans les tiroirs, réminiscences fugaces de ce passé révolu dont il ne restera que des images étrangères, sans odeurs, sans émotions.
Vrais souvenirs de mise en scène, ou mise en scène de faux souvenirs. Instants figés d'un passé lointain où je jouais avec elles aux jeux pervers de l'amour. Gouffre noir, où je me suis abandonné, pour oublier combien vivre peut être une souffrance :"Vivre maintenant, car demain je serais mort."


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Je l'ai attachée, écartelée sur le sommier de fer, appuyé contre le mur. Je me suis accroupi dans un angle de la chambre et j'ai calé la caméra sur ma cuisse droite, contre l'aine, l'objectif braqué vers son corps crucifié. J'ai ralenti ma respiration et déclenché l'enregistrement. Dans un bourdonnement imperceptible, les moteurs ont enroulé la bande autour du tambour, les têtes magnétiques ont commencé à découper le temps en tranches de cinquantième de seconde.

J'ai lui ai dit qu'Elle pouvait commencer.

Elle, n'osait pas frapper, mais peu à peu, ses gestes sont devenus plus amples, plus fermes, le fouet a claqué plus fort, marquant la peau de la captive crucifiée de longues stries violacées. La communion de la souffrance s'est instaurée entre elles... Le rituel moderne venait de commencer.

D'abord, il y a le désir.
Je t'aime, car j'aimerais être toi.
Alors, j'essaie de te posséder, de te prendre, de te garder.
Mise en scène ou sacrifice expiatoire, au centre de l'arène, au milieu des projecteurs, je te livre à la mante religieuse électronique.

A chaque coup de fouet, les cordes se resserrent autour de son corps, compriment ses seins, ses hanches, s'insèrent entre les lèvres, et marquent ses cuisses du sceau brûlant du plaisir et de la souffrance.

Et je répète ces images, ces instants truqués des moments passés, qui ont précédé le véritable désir, qui s'estompe dans les limbes.

Délaissant le fouet, Elle s'est plaquée contre elle en larmes, pour sentir ce corps qu'elle venait de faire souffrir. Elle a pétri ses seins, sa bouche, ses cuisses dans une frénésie anthropophage.


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La caméra fabrique de la mémoire. Pour elle nous avons joué à ces jeux érotiques et pratiqué ces rituels interdits. Avec la caméra, je touche, je caresse, je prends, je possède jusqu'à la mort, ces images souvenirs, souvenirs mis en scène. Mise en scène prétexte, souvenir de mise en scène.

Il n'existe pas de machine qui mémorise les émotions, seulement quelques palliatifs de la mémoire, comme ces pâles évocations de cette nuit ou j'ai aimé pour toute ma vie.

Après, chaque fois ne sera plus qu'une esquisse blafarde, de ces premières fois, de ces premières rencontres où notre sensualité s'est découverte, où notre désir nous a poussé vers nos limites.

Il y a dans l'amour, un abandon de soi, tellement total, tellement entier, qu'il est facile de s'identifier au Phénix qui s'anéantit dans son brasier ; dragon de rêves, oiseau terrible et magnifique, dont le souffle brûle, et le consume à la fois, il n'existe que pour cette petite mort ou il va s'embraser pour ressusciter, plus grand, plus fort, plus beau.


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