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Vers la fin des années 80 le texte qui va suivre me permettra d'obtenir l'aide à l'écriture du CNC pour un projet de documentaire réalisé en infographie animée, et consacré à la guerre d'indochine vue à travers le regard de mon père.

J'avais nommé ce projet "Pendant ce temps", et ce premier documentaire de création avait pour ambition d'être le pilote d'une série décrivant les grands moments de l'histoire vus à travers la mémoire des "obscurs" qui les ont subis...

Car nous sommes nombreux à avoir un père, une mère, un grand père ou une grand-mère encore vivants, qui ont vécu un moment important de l'histoire, et dont l'expérience peut être le support narratif permettant d'aborder de grands événements sous un biais non "officiel" ...
Hélas, bien qu'ayant soumis mon projet à différents producteurs, et aides à la création des arts plastiques, je n'arriverai pas à obtenir leur soutien sur ce sujet...

Certains à l'époque, m'ont même prévenu que je ne devrais pas traiter de ce sujet car il abordait des thèmes toujours interdits en france.

Je suis toujours à la recherche d'un producteur pour ce documentaire.

J'ai mis ce texte en ligne en 1996 lors de la création de mon premier site web, et en 2009 il a attiré l'attention du directeur de collection de la compagnie du barrage qui m'a demandé de le soumettre à son comité de sélection pour l'édition de leur nouveau recueil de nouvelles destinées à l'enseignement du français à l'étranger (FLE). La photo de couverture choisie pour ce recueil est une photo de mon père jeune prise à bordeaux quelques temps après son arrivée en france.
Je suis donc très heureux de voir ce témoignage très émouvant être édité.

Le recueil avec la nouvelle corrigée, réécrite et en version courte, est en vente à 3,90 €, on peut se le procurer par commande ici :
http://compagniedubarrage.blogspirit.com/
http://compagniedubarrage.com

 


binh


Binh, mon père aura bénéficié d'un sursis de quarante ans. Il aurait du mourir à seize ans en 1945, fusillé par la milice coloniale française, sur une île perdue du delta du Mékong.
Voici la retranscription du dernier entretien qu'il m'a donné avant sa mort.

PENDANT CE TEMPS: Noochronique d'une guerre d'indochine
Je m'appelle Nguyên Binh, mon grand père maternel était un propriétaire terrien, il possédait des rizières à Sóc Trang et des plantations d'hévéas, de café et de thé dans le delta du Mékong. Mon deuxième nom est Paul et c'est ainsi que m'appelaient ceux qui me connurent au viet-nam.

Nous habitions une très grande maison de style colonial, comme on peut voir dans les revues sur les Antilles ou l'île de la Réunion.
C'était une maison à étages, avec des fenêtres grandes ouvertes pour avoir des courants d'air.
Le plus extraordinaire, c'est que nous avions un grand ventilateur à larges pales fixé au plafond, du style colonial typique, à l'époque c'était très rare.

J'étais l'aîné des petits enfants, et mon grand-père avait fait de moi l'héritier direct des terres, car il ne voulait pas que mon père, qui était joueur, dilapide l'héritage.

La plus belle période de mon enfance, était lorsque je jouais dans les rizières avec les autres enfants de mon âge.
J'étais habillé de blanc car j'étais le fils du propriétaire, et je les accompagnais dans les arroyos pour pêcher à la nasse les poissons combattants. Certains d'entre eux n'avaient qu'un espèce de short pour tout vêtement. Quand ils jouaient avec moi, ils avaient très peur de le déchirer, alors ils se mettaient complètement nus.
Ca choquait beaucoup mon grand-père qui leur criait :
«mais vous ne pouvez pas vous habiller, comme tout le monde!»
Comme ils étaient pauvres, ils ne pouvaient pas faire autrement, aussi, je leur donnais quelques-uns des shorts noirs qui remplissaient mes tiroirs.
On marchait dans la boue autour des touffes de paddy sauvage, le paddy sauvage c'est du riz, et les poissons combattants se cachent dedans. Lorsqu'on frappait le paddy, des dizaines de petits poissons irisés se jetaient dans nos nasses.
C'est incroyable que je n'ai pas attrapé de maladies à patauger comme ça dans les arroyos.

Nous attrapions aussi les grenouilles à marée basse le long des arroyos. Des grosses grenouilles énormes que mes camarades transperçaient avec une sorte de pique, pour les enfiler sur un fil de fer.
Ils s'efforçaient de m'apprendre à piquer les grenouilles mais ça me répugnait.
Quand je rentrais le soir, j'étais couvert de boue.

Mon grand-père, m'engueulait un petit peu, pour la forme, puis il demandait à mes jeunes oncles de me nettoyer, et surtout d'enlever les sangsues qui s'étaient collées contre me jambes. Qu'est ce que j'avais peur des sangsues!
Pour enlever les sangsues, il y a un système très simple, on les brûle avec une cigarette, et elles se décrochent.

Mes oncles en profitaient pour me raconter des histoires idiotes pour me faire peur.

Par exemple celle d'une femme qui s'était lavés les cheveux dans l'eau d'une rizière. Une sangsue s'était glissée dans son oreille à son insu.
Au bout de quelques temps, cela la démangeait tellement qu'elle n'arrêtait plus de se gratter la tête, à tel point que sa belle-mère agacée lui donna un coup de bâton qui lui fendit le crâne.
Il était rempli de sangsues affamées.

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