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GRAND-PERE

Mon grand-père, m'adorait parce que je travaillais bien et que je parlais français. Il me faisait parler devant ses domestiques, pour bien montrer que je connaissais le Français, et moi, comme tous les gosses, je leur disais des gros mots qu'ils ne comprenaient pas.

Mes oncles et tantes étaient tellement méchants, qu'un jour de pluie ou j'étais parti promener les petits, ils ont jeté dans le ruisseau ma collection de poissons combattants, à laquelle je tenais beaucoup .
Grand-Père leur a passé un savon mémorable.
Un jour mon grand-père voulut absolument me faire connaître la propriété, il fallut partir deux jours... C'était en 1941, j'avais 11 ans.
Nous nous déplacions à six personnes dans une grande pirogue. Il y avait les deux coolies qui pagayaient, moi, mon grand-père, et deux hommes qui l'accompagnaient toujours dans ses déplacements.
On se synchronisait sur les courants provoqués par la marée, soit pour remonter soit pour descendre, afin de moins se fatiguer.
Sur terre, pour éviter que le bas de mon costume blanc ne soit tâché, les paysans et les coolies, se relayaient pour me porter sur leurs épaules.

Grand-père louait des petites parcelles à certaines familles. On pourrait appeler cela des métayers.
Grand-père était d'une férocité épouvantable, c'était un homme très autoritaire qui les terrorisait. Il bénéficiait de plusieurs siècles d'assujettissement. Il était au sommet d'une hiérarchie ancienne et féroce. De tous temps, les paysans, les métayers, les coolies, avaient courbé l'échine. Lorsque nous arrivions, je pouvais voir la peur dans leurs yeux. Je crois que les colons Français les terrifiaient moins que nous.

Dés notre arrivée il les interpellait:
«bon alors, comment ça marche votre parcelle, là? Est-ce que ça a donné cette année?»
Malgré leur peur, les métayers essayaient toujours de négocier un peu:
«Ah non pas beaucoup, il y a eu trop d'inondations cette année...»
Alors Grand-père s'énervait:
«Bon! puisque vous ne faites pas assez de chiffre... je maintiens celui de l'année dernière...»
Pour les paysans c'était terrible, pourtant malgré leur dépendance et leur misère c'était extraordinaire comment ils nous recevaient. Je revois de ces festins avec sept ou huit plats différents, ils tuaient même le cochon et le faisait rôtir pour nous accueillir dignement.
Ils se mettaient en quatre et j'étais très chouchouté, ils faisaient tout pour me faire plaisir, non pas pour moi, mais pour obtenir les faveurs de Grand-père.
Après le repas, il recevait leurs doléances ou leurs requêtes, renouveler le bail, diminuer la redevance en paddy...

L'après-midi on profitait de la marée pour pour reprendre la pirogue et fixer les points de jalon qui cernaient les limites des terres. Souvent, grand-père se redressait en s'exclamant:
«Mais! mais! les points de repères ont changés! La propriété est beaucoup plus loin que ça!»
Comme les arroyos changent continuellement de place, il fallait régulièrement réajuster les limites avec des signes symboliques.
Il donnait alors des ordres pour qu'on fixe la propriété en plantant quelque chose qui pousse vite. Notre point de repère c'était trois cocotiers alignés côte à côte.

Des petites digues séparaient nos terres du fleuve et quand il y avait des crues les digues étaient emportées. Pour éviter ça, les paysans avaient tendance à faire les digues en retrait, et ça irritait beaucoup grand-père.
Pour lui, même si c'était seulement d'un ou deux mètres, il fallait maintenir les digues exactement sur les limites, et il les obligeait à les reconstruire aux emplacements précis.


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