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THANATOS,Les Récifs. (Suite et fin du 1er extrait)

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Mes yeux larmoyants sont figés sur un rectangle lumineux dont la signification m’échappe.

Débarrassé de l’emprise du cybertrip, mon cerveau identifie la forme géométrique. C’est le néon blanc du plafonnier. Je suis allongé sur la banquette supérieure du camion.

Après avoir généré leurs doses d’émotions dans mes synapses, les Robs-cells, déconnectés de mes neurones, se répandent dans mon sang pour y être digérés par les macrophages. Certains essaims se sont frayé un chemin plus rapide, et s’échappent par mes yeux et mes narines. Leur goût métallique âcre emplit ma bouche.

La pulsation lourde des basses qui résonnent depuis l’immense bâtiment industriel abandonné, achève de me ramener à la réalité. Je sors en titubant, rate le marchepied et tombe pieds joints dans une flaque de boue qui noie mes chaussures.
Le froid de l’eau me réveille tout à fait.

J’entre par la porte de service en laissant les vigiles scanner mon implant de backstage. La salle enfumée est moite de chaleur, pourtant les immenses pales des extracteurs de fumée tournent à plein régime.

Noyés dans les raies stroboscopiques des scans, les DJ sont en plein synchronisme Hyperdelic-Trash. Le rythme s’avance doucement vers les deux cent cinquante bpm, amenant progressivement les raveurs vers leur transe extatique.
Les harmonies arythmiques font vibrer ma colonne vertébrale, les auras colorées, générées sur mes nerfs optiques par les ultrafréquences, se délitent en volutes psychédéliques.
Les tunnels acoustiques propulsent des salves d’infra-basses, qui s’écrasent par vagues sur la masse ondulante des danseurs agglutinés.

L’ingénieur du son caresse les seins d’une fille assise sur ses genoux, pendant que sa copine tripote les capteurs de la turbo-sono poussée à sa limite. Le DJ solo est tellement défoncé, qu’il ne se rend même pas compte qu’il est débranché des amplis, depuis que l’avant-scène sur tréteaux s’est effondrée sous les coups de boutoir du public en transe.

Les premiers rangs, hurlants et défoncés à l’endorphine de synthèse, se jettent les uns sur les autres, en une parodie de danse macabre.
Une centaine de cyberpunks pratiquement nus le corps lardé de piercings métamorphiques se convulsent en s’accouplant dans une orgie techno-païenne. Les MEMS en polysilicone, incrustés dans leur chair, échangent des petits arcs électriques à chaque contact.
Leur peau est couverte de tatouages mouvants en nanoimplants sous-cutanés, affichant des séquence érotiques violentes, changeant en rythme avec les pulsations.

Devant moi, les tatouages d’une fille sont connectés sur les archives de WTVX et je distingue, glissant sur ses seins et son ventre, des scènes de cadavres mutilés, mélangés à des mots pris aux hasard dans les comptes rendus de la police.

Tout cela me parait désormais dérisoire et artificiel en regard du cybertrip que je viens de faire dans le camion. Le voyage m’a complètement déphasé et je n’arrive plus à me remettre en synchro avec les raveurs hystériques. Je retourne vers le calme de la nuit.

Appuyé contre les générateurs des holoprojecteurs, un punk-goa vomit sa bière. De son nez suintent les doses de robots cellulaires hallucinogènes, qui dégoulinent sur sa bouche en longs filaments dorés.

Dehors, le néon blanc en forme d’étoile, traversé de la vieille enseigne Eurotélécoms 2000 se reflète par intermittence dans la laque des miniscoots alignées.
Contrastant avec cette hystérie frénétique, la campagne est calme et silencieuse, seulement troublée par la pulsation sourde et lointaine du hangar.

Sur le parking les portes arrières d’un van s’entrouvrent sur un skin, pantalon baissé, qui urine un long jet fumant et doré de nanorobots sur le capot de la Nissan garée devant lui. Des cris de femme et des éclats de voix brutaux émergent d’une confusion de corps emmêlés sur le plancher du véhicule. Les oscillations des suspensions provoquent des arabesques dans le jet d’urine qui ne semble plus finir.
J’observe la scène, assis sur le marchepied du semi-remorque du groupe, havre de paix vers lequel je me suis réfugié.

Le massacre revécu sur la falaise a laissé dans mon esprit une empreinte douce amère, comme un cauchemar qui refuserait de disparaître avec le réveil. J’essaie de comprendre l’étrange expérience que je viens de vivre.

Ce cybertrip n’avait rien à voir avec ce que je connaissais. D’habitude, les jeux virtuels enregistrés dans les mémoires des essaims auto-organisés de nanorobots, se contentent de générer des sensations visuelles et sonores. C’était la première fois que je m’injectais une dose capable de générer de véritables émotions.
J’ai vraiment ressenti les souffrances et l’agonie de l’homme enchaîné contre la falaise. Une partie de ses pensées imprègnent encore mon esprit.

Je regarde mes avant-bras, cherchant d’improbables blessures. Mais non, ma peau est intacte. Pourtant, je garde distinctement le souvenir de la souffrance générée par les flèches de métal s’enfonçant dans mon corps. La mort est encore gravée dans ma mémoire.

La mort rode autour de cet objet. Ce n’est pas du tout un jeu de simulation que je me suis injecté. La séquence de l’homme massacré contre la falaise n’était pas une hallucination de synthèse, c’était la réalité.
Pour faire cet enregistrement on avait massacré quelqu’un dans un décor de légende et enregistrées les sensations de sa mort.

Mais ce qui me gêne le plus, c’est que j’ai trouvé ces doses de réalité virtuelle d’un genre nouveau, dissimulées dans le laboratoire de mon père.
©1997Editions Florent-Massot
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